INTERVIEWS
Par Pascal Bertin
Il n’a pas connu le quart d’heure de gloire que Warhol promettait à tout un chacun. Mais il s’en fout, car au moins a-t-il gravé 2 minutes 23 de fulgurance punk en crachotant sur son cahier les paroles de « Fier de ne rien faire », le grand manifeste punk nihiliste hexagonal de 1977. « Patrick Henry est innocent », « Pétain Darlan c’était l’bon temps », « Euthanasie » (« Pour les vieillards et les infirmes / Paralytiques et asthmatiques / Les Assedic, syphilitiques / Les diabétiques, les catholiques / Euthanasie pour eux aussi / Euthanasie c’est bien fini / Euthanasie plus de soucis / Euthanasie pour vous aussi »), «Vivement que je sois vieux », « Je hais les fils de riches » : autant de perles no-future caustiques et politiquement incorrectes dont il a pondu les paroles pour les Olivensteins, le groupe de son frère Gilles, le tout avec la morgue et la bienveillance d’une scène rock rouennaise en plein âge d’or, avec les Dogs en tête de meute.
Il faudra pourtant attendre 2011 pour que soit enfin publié un album des Olivensteins, en réalité une compilation de titres enregistrés entre 1979 et 1980 par le groupe avant son autocombustion, nettoyés par les bons soins du label Born Bad, qui n’a jamais oublié ce que notre scène alternative devait à ces faux méchants et vrais sympas. L’affaire rencontra un tel écho qu’elle finit par convaincre le groupe de se reformer en 2013 et de reprendre le chemin de la scène. Ce qu’on savait moins, c’est qu’entre cette glorieuse période rouennaise durant laquelle il officiait derrière le comptoir du formidable disquaire indé Mélodie Massacre et la carrière de rock-critic lettré exilé à la capitale, Eric Tandy s’était aussi essayé derrière un micro.
Et on ne parle pas de la fois où il a donné de la voix au sein des Nouveaux Riches, formation éphémère responsable du formidable single 25 ans qu’une fois de plus, l’opiniâtre label Born Bad servira sur un plateau à la génération Snapchat en ouverture de la compilation Paink (French Punk Anthems 1977​-​1982). Ni du maxi paru chez New Rose en 83, E.T. e.p. et de son single publié par le défunt Surfin’ Bird deux ans plus tard, Attendre / Le Billet Vert, tous encore porteurs de débris du punk. Non, on parle de Tandy chanteur pop.
C’est vers 86/87 qu’il enregistra sous son nom les morceaux de Cafards bizarres dont tout le monde croyait avoir perdu les bandes. Jusqu’à ce jour de 2015 où elles ressurgirent et que Smap Records, en véritable archéologue du rock rouennais, décida de les ressortir à partir de l’unique cassette miraculeusement retrouvée. Un étonnant disque d’une pop naïve qui fricote avec la chanson tout en continuant à prêter allégeance au dieu Rock, où l’heure n’est plus à se réfugier derrière la déconnade mais à rêver des Plimsouls et d’Aztec Camera faisant la course en rollers dans les rues de Montmartre. Décidément, ce XXIe siècle valait le coup d’être connu.
Noisey : On t’aurait dit il y a quelques années que ton album oublié sortirait, tu n’y aurais pas cru. Que s’est-il donc passé ?
Eric Tandy : Tout est parti de Claude Levieux qui a décidé de réactiver Smap Records, son label des années 80, en alternant la mémoire du rock rouennais et la nouveauté. Il s’est mis à la recherche d’inédits de l’époque mi-70 début 80, et il a mis la main sur les titres d’un album entier que j’avais réalisés dans une veine très différente de mes autres projets.
C’est un peu la suite logique de ton histoire personnelle après la sortie de l’album et la reformation des Olivensteins. Ça avait déjà été une bonne surprise ?
Totalement et on s’est rendus compte qu’il y avait beaucoup de jeunes aux concerts là où au tout début, le mini-mythe du groupe n’attirait que les vieux mecs nostalgiques de cette époque. Alors qu’il n’y a rien de plus terrible que de toujours parler du bon vieux temps… Mais les concerts ont changé la donne avec plein de jeunes qui connaissaient les paroles, ça fait super plaisir.
Justement, en solo, on te découvre sur un ton tout à fait différent. C’était dû à l’âge, à l’influence de ta vie parisienne ?
Un peu tout ça. J’avais l’impression d’avoir fait le tour du genre « rock provocateur » un peu comme j’avais fait le tour de Rouen. J’avais envie d’un truc personnel, avec une musique qui me ressemble vraiment à ce moment-là . J’avais toujours vachement aimé les balades mais n’en avais jamais écrites. C’est mon côté fan de rhythm’n’blues, de country, de pop, d’Elvis Costello, Gram Parsons et Prefab Sprout. Et puis j’avais jamais écrit d’histoire d’amour non plus. Là , j’avais envie de me mettre à poil, de raconter ma vie.
On sent moins de provoc’ mais toujours beaucoup d’ironie quand même.
L’ironie est dans le premier morceau, « Au-delà », qui est peut-être le seul de mon histoire où je fais des jeux de mots. Tout le monde faisait des jeux de mots foireux et j’avais envie d’en faire mais de façon plus » sérieuse «
Et tu as formé un groupe pour t’accompagner ?
À la base, c’était Vincent Denis [guitariste des Olivensteins et des Rythmeurs] et moi. On a fait les chansons ensemble et des potes sont venus se greffer, comme le groupe Ticket qui était mes voisins dans le 18e, ou le bassiste qui était le mari d’une copine de Rouen. La vraie rencontre, ça a été Charles Hurbier, l’ex-Métal Urbain, pour qui j’avais écrit des textes. Et puis Jean Labbé, un ingénieur du son qui bossera plus tard pour la Mano Negra. L’enregistrement s’est fait sur une longue période, des matins par-ci par-là , une semaine en entier dès qu’on avait le studio.
Ce qui est frappant c’est que tu as toujours incroyablement maitrisé la langue française avant tout le monde dans des genres qui étaient à la base vraiment anglo-saxons.
La raison est simple : je n’ai jamais écouté de chanson française de ma vie. La seule exception, l’album français que j’écoutais ado en fumant des joints, c’était Obsolete de Dashiell Hedayat. Ça reste mon disque français préféré, d’ailleurs derrière, c’est Gong qui joue.
Il a pourtant fallu du temps à ce que des générations s’attaquent à la langue française.
Exactement. Mais ce qui me dérangeait, c’est qu’à chaque fois que quelqu’un chantait en français, le texte l’emportait sur la musique. Alors que chez tous les songwriters que j’adore, de Bob Dylan à Elvis Costello, c’est du cinquante-cinquante. Et c’est toujours ce que j’ai reproché à la chanson et au rock français. Dutronc, c’était parodique. Les mecs qui ont réussi avec le français avaient un accent, comme Bashung, Théo Hakola, Charlélie Couture, Thiéfaine… Quant au punk français, ça se limitait pour moi à Asphalt Jungle et Marie & les Garçons.
Et à l’époque, tu as démarché les maisons de disques ?
Oui, ça a été ma grande découverte du showbiz ! J’ai tenté les gros, les petits, les moyens… Pour les majors, c’était pas assez produit, pas chanté assez pro. Et pour les quelques indés dont New Rose, c’était trop variétés. C’était de la pop pas assez calibrée, jouée de façon rock…
En gros, tu es arrivé un poil trop tôt ?
Exactement… J’avais été vendeur chez Mélodie Massacre de 75 à 83, huit années qui correspondent à la meilleur période du rock. J’ai donc vu le tout début de l’émergence des labels indé français mais qui sont arrivés vachement plus tard qu’en Angleterre. Et encore, ils restaient tous au niveau local car aucun réseau de distribution n’était encore en place.
D’ailleurs, les Olivensteins s’étaient séparés pour les mêmes raisons en 1980.
À l’époque, c’était juste impossible de sortir un album punk en français. L’autoproduction existait dans l’underground progressif mais pas dans le punk. T’était obligé d’aller dans une major. Il y avait donc impossibilité d’aller plus loin que l’artisanat local. Le réseau alternatif ne s’est développé qu’au milieu des années 80. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai quitté Rouen, j’avais l’impression d’y avoir tout fait. Et par ailleurs aucune chance d’y trouver un quelconque boulot.
Pascal BERTIN
NOISEY