Parce qu’ils étaient plus jeunes que les supposés ténors de la scène locale, parce qu’obligatoirement ils n’avaient pas tout à fait les mêmes références musicales : les trois Flics, Bruno Lefaivre, batterie, Christian Rosset, guitare, et Lilian Picard, basse et voix (on ne va quand même pas dire chant !), étaient naturellement à part dans ce qui constituait alors « la bande de Mélodie », nommée ainsi par ceux qui s’en sentaient exclus.
Une définition qui englobait à la fois étoiles montantes vite filantes, glandeurs, apprentis musiciens et puceaux du rock en tout genre. Tous trainant et séchant les cours à l’intérieur du fameux et (parait-il) désormais légendaire magasin de disques Mélodies Massacre, une enclave exigüe nichée dans le « centre historique » d’une ville quasiment morte – surtout après 19H ! – appelée Rouen.
Flics, formés au lycée Jeanne d’Arc (Jeanne d’Arc et Rouen c’est une vieille histoire d’amour, les feux de l’amour, même…), ne s’inspiraient pas vraiment de la culture néo-sixties ou rock’n’roll à boots pointues qui était alors très prisée dans la cité.
Ils ne s’inscrivaient pas non plus dans la suite directe des Olivensteins, agitateurs locaux certes influents mais dont l’existence fut quand même assez éphémère.
Non, l’année même de sa formation, 1980, positionnait le trio ailleurs : en plein dans l’actualité du moment en fait. Flics et leurs morceaux, paraît-il parfois composés en seulement dix minutes, témoignaient instinctivement du punk de cette période-là, c’est-à-dire (même si on n’employait jamais le mot à l’époque), plutôt fortement marqué post que bastonnant sommairement et vulgairement. Pas de « Oi ! » ou de parodies grotesquement francisées du premier The Clash chez eux. C’était plutôt des bribes parfaitement comprises de Public Image Limited ou de Basement 5 que l’on y discernait ; des guitares qui construisaient des ambiances incisives, une basse qui se limitait bienheureusement à son simple rôle de basse, des paroles distanciées déclamées là-bas tout au fond et un battement rythmique assez spécifique qui faisait remuer d’une drôle de danse déséquilibrée leurs fans pendant les concerts.
Ils se sont évidemment beaucoup produits à Rouen, ils se sont aussi parfois mêlés à la scène normande d’ailleurs, jouant avec Bye Bye Turbin ou City Kids. Plus tard c’est avant the Fall, Virgin Prunes ou les Meteors qu’on a pu les entendre.
Une histoire qui a quand même duré autour cinq années avec quelques changements (Lilian Picard remplacé par Philippe « Tintin » Brossard en 1983, le groupe sortant un disque sous le nom Blameless Act chez Isolation intellectuelle/Sordide Sentimental).
Une histoire ponctuée d’enregistrements épars que l’on retrouve enfin réunis sur cette compilation.
S’ils s’étaient appelé Police et pas Flics peut-être que leur destin aurait été moins confidentiel, mais c’est con, le nom était déjà pris par de vieux pros du marketing pop rock dont les chansons n’avaient, elles, vraiment rien d’incisives…
Eric Tandy, juin 2020